Prise de tête à la machine à café
Prendre le temps de se faire un bon café plutôt que d'avaler un jus de chaussette infâme pour nous pousser frénétiquement dans l'instant suivant que l'on n'appréciera pas vraiment plus. Profite-t-on vraiment d'un moment de confort sans s'investir ne serais-ce que rituellement dans sa fabrication ? - Isa
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Café : jus de la baie torréfiée porteuse du psychotrope le plus répandu et le moins stigmatisé de l'humanité, carburant de la révolution des Lumières, dissolvant de nos torpeurs : Caféine
On le trouve sous toutes formes, au litre dans les infuseurs domestiques, usiné à la chaîne derrière les comptoirs des commerces portant Son nom -et récemment- en capsules à l'évocation hypodermique.
« Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ! » - Alfred de Musset, a.k.a. Mumu : du troquet La Choppe malheureusement remplacé par un « Lounge » sans âme. Dans le contexte la citation était « Qu'il est bon de se torcher la gueule ! » Une bonne formule, pleine d'authenticité qu'il dû retravailler sous prétexte qu'elle « ne faisait pas très littéraire ».
Pas d'accord. Certes tout jus caféiné peut prétendre à l'appellation ; hébété par la poursuite de nos agendas on voudrait se contenter d'un p'tit noir aspiré encore bouillant, un coude au dessus du comptoir, les pieds déjà tournés vers la sortie. Mais n'est-ce pas précisemment ce qu'il nous faudrait à ce moment : une caresse du présent qui nous rappelerait tendrement qu'il est là, avec nous, sereinement ?
« You can't always get what you want, but if you try sometime well you might just find, you get what you need. » - the Rolling Stones
D'abord
Où l'on voit que ; dans sa recherche de standard le processus industriel exclut les nuances et bannît l'Art.
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Comme en cuisine, la recette pour le « meilleur café du coin » passe par un bon produit, un bon matériel et de l'attention. Pas besoin d'une Rolls, concèdez simplement qu'enfoncer une vis au marteau conduit à un résultat dégueulasse.
Pour le grain c'est facile, toujours favoriser un premier, voire deuxième, « crac » et abandonner les « noirs ». Voyez-vous la baie de café doit être torréfiée (cuite sur plaque sans eau ni huile) pour libérer ses arômes et sa caféine. À la cuisson la baie -blanche- brunie, se racornie jusqu'à ce que sa peau «crac» ; s'il on continue la cuisson c'est l'eau des cellules coriaces qui se libère en vapeur dans un second « crac » ; poussée à fond plus de son reste une baie noirçie remarquablement fâde, c'est le grain des percolateurs de bistrot et des automates, le même goût, toujours, qu'importe la baie. Pratique, utilitaire. Mais ici nous voulons du pop, le saut de la troisième corde sur tes papilles. Il y a des milliers de parfum, à vous de trouver votre pied, mais un grain goûteux est d'une teinte chocolat au lait. Pour le reste l'essentiel c'est de maîtriser la préparation jus de café, l'extraction de l'essence de la baie, sans subir celle de la cafetière.
Ensuite
Où l'on voit que ; le solennel du riuel permet la manufacture de l'extraordinaire dans le vulgaire.
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Si l'infusion proposée par les cafetières à piston est pleine de mérite je lui préfère l'appareil « à l'italienne ». Petite merveille de l'ère de la vapeur, ce sablier à visse est idéal car bonifiable. La partie basse recueille l'eau, vaporisée, elle tente de s'échapper par un cornet débouchant dans la charge de café moulu où elle s'expand et s'imprègne des arômes puis, pressée par le reservoir, comprimée, remonte la pipe pour s'écouler décompressée dans le pot supérieur.
Rien qu'ici vous pouvez louper votre café quatre fois.
Cette cafetière n'est pas un robot, c'est un outil, sans vous pas de bon café.
Pour commencer une cafetière neuve doit être utilisée au moins trois fois -sans boire le café : évier- pour nettoyer parfaitement la tuyauterie des oxydes d'alumine, ou autres, et surtout commmencer le sédimentaire travail de calaminage : une strate solide de résidu de café isolant votre préparation du métal de l'instrument.
Pour favoriser ce calaminage on ne vide et nettoie la cafetière qu'à l'utilisation (si vous l'utiliser régulièrement hein, on fait du café pas de la pénicilline). Pour ce faire, on dévisse l'appareil, on jète le contenu de la vasque supérieure, on éjecte le marc en soufflant un coup sec dans le cornet, puis l'on rince ce dernier. Le jus restant dans le reservoir inférieur est conservé (sauf si t'as brulé ton dernier jus). Évidemment on ne récure jamais une telle cafetière, sauvages.
On complète le reservoir d'eau jusque sous la valve de sécurité (le petit téton boulonné). On peut chipotter à loisir sur la qualité de l'eau mais si ça passe pour les pâtes, ça passe pour nous. Commencez par maîtriser l'extraction.
On replace le cornet que l'on garnit à fond avec la mouture. Évitez les moutures trop fines, plus adaptées pour les appareils à filtre papier. NE PAS TASSER. Ce n'est pas un percolateur, ici pas de pompe d'injection, seule la température dans le reservoir permet le passage de la vapeur dans le grain broyé. Contentez vous de remplir à ras et de lisser l'exédent avec un couteau (sur une feuille pour remettre dans le pot -sans pencher l'assemblage il y a de l'eau dedans- s'il faut tout vous dire).
On peut alors visser fermement la vasque supérieure. Allumer à fond le plus petit feu, poser et rester à côté l'œil rivé sur l'appareil. C'est un accouchement, un peu d'investissement bordel !
Puis
Où l'on voit que ; comme le jongleur se soumet à la gravité pour mieux l'exploiter, celui qui veut extraire du café doit se plier à la Physique et la Chimie.
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Là on patiente en laissant la pression monter... N'a-t-on rien oublié ? Est-ce que l'engin va nous exploser au visage ? Est-ce que la voisine va venir nous demander du sucre au moment cruciale du processus ?
Le premier signal est sonore : la valve ! Pas le sifflet d'usine -là c'est foutu- un léger échappement de gaz, chuintant, crachotant. C'est le moment de mettre le feu au minimum. Si t'as une plaque électrique : tu fais chauffer sur une plaque moyenne en même temps que tu fais chauffer la petite plaque, au signal tu passes l'appareil sur la petite plaque déjà à température, oui c'est pas pratique en même temps t'as des plaques…
C'est elle, l'étape cruciale, ne pas cramer le café. Vous vous souvenez des « crac », du temps passé à trouver un café prometteur, de l'anticipation d'un café de fou ? Si l'eau est trop chaude, la baie recuit et finis les arômes, buvez ce café âpre et amer, vous le méritez, mais vous valez mieux que ça.
Info pour les cafetière piston : l'eau c'est 70°C, on cherche à faire une infusion pas à repousser des envahiseurs des crénaux !
Donc notre appareil est sur feu doux, si la complainte de la valve remonte restez stoïque ce que vous attendez c'est le noir jus qui passe la pipe et ruisselle d'un fil si fin et pur qu'il semble joindre immobile l'exutoire au fond de la vasque. Là on voit la tête du bébé, c'est le moment charnière : les yeux rivés sur la pipe surveillez l'arrivé du bouillon. De fines bulles vont doucement s'accumuler à la tête du tuyau et j'ai le regret de vous dire qu'à ce moment, vous êtes livré à vous même.
La mouture, la puissance du feu, la cafetière, les astres, les dieux, aucun bouillon ne se ressemble, c'est à vous de savoir. Il faut retirer l'appareil du feu quand vous estimez que le jus (qui va encore couler un moment !) s'arrêtera à mi-niveau de la vasque.
Oui c'est chaud, moi ça m'a pris un mois en pratiquant tout les jours !
Les arômes se dissolvant plus facilement que la caféine, et le grain recuissant à mesure que l'eau le traverse : les premières gouttes sont toutes en arômes et parfums, à partir du milieu ce n'est plus qu'amertume et caféine. Ironiquement un café au goût puissant est moins caféïné qu'un allongé, léger mais raide. (Pour les pistons, ça signifit qu'il vous faut chronomètrer le temps d'infusion !)
C'est une corde raide que de poursuivre la puissance d'un café et son parfum, pourquoi les baies pour expresso sont sur-torrifiées à votre avis ?
Mais faites le test : servez des petites tasses à mesure que le café coule. Gôutez les séparement, tentez des mélanges, découvrez… À mon goût le premier cinquième est un nectar, la première moitié est acceptable, la seconde : un affreux jus de chaussette que la merveille des premières gouttes ne peuvent sauver et même pire : s'abîme dans cette insipidité.
Enfin
Où l'on voit que ; comme nous l'apprennent les révolutions le plus important n'est pas tant de bouleverser le marasme que de stabiliser la situation à un idéal.
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Le bébé est sorti !
Félicitations, mais on a pas fini… Pas question de le laisser sur la table !
Il est impératif de verser le jus extrait dans un second pot. L'écoulement extrêment délicat du café l'empêche de se mélanger, les derniers jus – moins goûteux mais plus chaud – stagnent au dessus tandis que le nectar rôde dans le fond. Il faut transvaser tout ça pour le brasser et l'homogénéiser.
Pour garder chaud longtemps faites chauffer le pot au bain marie pendant l'extraction, de toute façon vous allez avoir besoin d'eau chaude, car :
On vient d'extraire deux doses de moût pour une dose de café ; certes vous avez un merveilleux extrait de café, mais c'est un sirop qui va vous prendre la bouche avec une fougue à vous poser le cul par terre – ivresse légitime – mais pour un peu plus de civilité je préfère le couper avec de l'eau (chaude, pas bouillante) voire du lait. Il y a un point de dilution à ne pas dépasser, c'est au goût de chacun. Si c'est bien fait nul besoin de sucre.